Publié le 18 mars 2009 par Le Monde
Soit c'est grave, soit c'est absurde, et dans ce cas c'est choquant. La question s'impose, plus de quatre mois après le début de l'"affaire de Tarnac". C'est le 11 novembre, en effet, que neuf personnes appartenant à la mouvance anarcho-autonome sont interpellées à Tarnac (Corrèze), mises en examen et incarcérées pour "dégradation en réunion dans le cadre d'une entreprise terroriste". Elles sont soupçonnées d'avoir "saboté" quatre lignes TGV en posant des fers à béton sur les caténaires, et la SNCF a porté plainte.
Entre le 15 novembre et le 16 janvier, huit seront remises en liberté sous contrôle judiciaire ; en revanche, le chef présumé de ce groupe, Julien Coupat, reste en prison, malgré trois demandes de remise en liberté auxquelles le parquet s'est opposé.
Depuis quatre mois, chacun a campé sur ses positions. Interpellé par les avocats, par le député socialiste André Vallini ou par des comités de défense, le juge chargé de l'affaire, Thierry Fragnoli, a répliqué, dans ces colonnes, que l'enquête était menée de façon "impartiale" et que la présomption d'innocence n'était en rien bafouée.
Plus récemment, dans Le Point, le chef de la direction centrale du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, a expliqué que ses services "surveillaient depuis longtemps" ce groupe et en savaient "assez pour savoir (qu'il) se situait dans les prémices de l'action violente, le stade où les choses peuvent basculer à tout moment". Et d'ajouter que le dossier du juge "n'est pas vide". Quant aux huit jeunes gens mis en examen en même temps que Julien Coupat, ils viennent de dénoncer, à nouveau dans ces colonnes (Le Monde du 17 mars), l'attitude "d'un pouvoir toujours plus absurde", et ils réclament la libération de Julien Coupat et l'abandon de la qualification de "terrorisme" retenue contre eux.
Dès lors, les questions sont simples. Primo, quels sont les éléments de l'enquête justifiant le maintien en détention de Julien Coupat, alors que les huit autres mis en examen ont été libérés ? Deuxio, que contient le dossier, puisque les enquêteurs ne disposent ni d'un flagrant délit, ni d'aveux, ni même d'indices ? Tertio, sur quelle base la qualification grave de terrorisme a-t-elle été retenue et maintenue, quand, à l'évidence, les auteurs des dégradations des lignes TGV ne cherchaient pas à faire de victimes ? La justice et les enquêteurs se doivent d'y répondre rapidement. Sauf à accréditer le sentiment croissant que cette affaire est artificielle, effectivement absurde, donc profondément choquante.