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William Bourdon et Marie Dosé - Avocats

dim. 28 juin 2015

Tarnac ou l’arnaque de la lutte antiterroriste

Libération

En qualifiant le groupe de Tarnac de terroriste, la justice française diabolise et hypercriminalise son action. Or, les Etats, depuis des siècles, sont restés impuissants à s’accorder sur la définition du mot. Et heureusement !


Le parquet de Paris a récemment requis le renvoi de trois des mis en examen dans l’affaire de Tarnac pour «participation à un groupement terroriste». Les faits sont connus, ils sont contestés. L’accusation, pour qualifier le groupe de Tarnac de «groupe terroriste», tient pour acquis ce postulat : l’action incriminée (tentative de sabotage sur une ligne TGV) est d’inspiration terroriste puisqu’elle résulte d’abord d’un écrit anonyme,L’insurrection qui vient, puis, d’un environnement, désigné depuis des lustres comme celui d’une mouvance anarcho-gauchiste. L’écrit fait donc l’intention et l’intention diabolise l’action.

Ce triptyque que l’on veut maléfique, c’est celui qui «arme» intellectuellement la dialectique de l’auteur du réquisitoire, exceptionnel florilège de sophismes, de syllogismes, et d’affirmations d’autorité. Bref, tout ce qui caractérise ces glissements sémantiques qui ont conduit, en France comme ailleurs, au nom de la lutte contre le terrorisme, à d’autres glissements sournois et invisibles par ceux-là même qui meurtrissent délibérément les principes fondamentaux de notre République au nom d’une promesse de sécurité menteuse.

Pour mesurer ce que signifie historiquement la responsabilité prise par le parquet de Paris de faire endosser au groupe de Tarnac la qualité d’un groupe terroriste, il faut rappeler que les Etats, depuis des siècles, sont restés totalement impuissants à s’accorder de façon définitive sur la définition du terrorisme. Et de cette incapacité, nous devons nous féliciter. Elle est heureuse pour nos démocraties mais également pour ceux qui, au nom de la lutte contre le terrorisme, ont transformé leurs pays en champs de ruines des libertés publiques.

Elle est heureuse, car le crime de terrorisme est par nature protéiforme et sa définition toujours nécessairement grevée par les arrière-pensées politiques contradictoires et multiples de ceux qui, par cette hypercriminalisation, trouvent le moyen providentiel de diaboliser leurs adversaires politiques, leurs opposants. A miroir inversé, on le sait, l’histoire nous enseigne que les terroristes d’un jour peuvent devenir, le lendemain, Prix Nobel de la paix, notamment, lorsqu’ils ont assouvi le rêve politique de l’autonomie de leur peuple. La responsabilité prise ainsi par la justice française, de faire du groupe de Tarnac un groupe terroriste en l’accusant d’avoir commis une simple tentative d’atteinte aux biens et de s’inscrire dans un mouvement d’opposition radicale à l’Etat, est lourde de sens, de conséquences et de périls.

Rappelons que l’ONU et la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme ratifiée par la France définissent l’acte terroriste comme celui «commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants […]». Cette définition se rapproche de celle adoptée par le gouvernement dans le «Livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme» paru en 2006, qui fait référence à «tout acte qui vise à tuer ou à blesser grièvement des civils ou des non-combattants […]».

Certes, les textes européens ont inclus progressivement aux actes terroristes l’atteinte aux biens, mais de façon spécifique, circonspecte et subsidiaire par rapport à l’atteinte aux personnes.

Les faits reprochés à nos clients, isolés, rattachés à un livre (jamais poursuivi !) traduit dans une dizaine de langues, et à un environnement ayant surtout contribué au développement d’un territoire, ne peuvent répondre à cette définition. Cette extension du domaine de la lutte contre le terrorisme a déjà creusé le sillon d’un Etat d’exception latent, qui construit sa justification dans le fait d’assurer aux citoyens qu’il est possible de prévenir le crime terroriste grâce à une pseudo-technique scientifique plus ou moins probabiliste, forme d’astrologie débusquant l’annonce du passage à l’acte dans les corps et les esprits. Ce cauchemar est tout simplement celui d’une action préventive déterministe.

Or, l’extension que l’on veut syndiquer sur le trio de Tarnac est faite d’un poison véhiculé de tout temps par le contre-terrorisme ; ce poison qui, goutte à goutte, en mutilant les principes fondamentaux et en pervertissant l’esprit des textes, mithridatise nos sociétés, transforme l’anormalité en normalité puis le dérogatoire en légalité. Faire de l’atteinte aux biens l’alpha et l’oméga du crime et du terrorisme, c’est ouvrir une brèche sinistre qui permettra demain d’hypercriminaliser tous ceux qui, guidés par une exaspération et une colère sociale grandissante, assiégeront des préfectures en prononçant des slogans dans lesquels des magistrats bien déterminés et bien policés pourront lire l’annonce du pire.

De hauts magistrats ont expliqué que certaines des nouvelles dispositions élargissant les missions de renseignement pouvaient demain, entre de mauvaises mains, se retourner contre ceux qui en revendiquent si fièrement la paternité.

La lutte contre le terrorisme objective donc et justifie déjà un système de surveillance de masse et son corollaire ; ces modalités sournoises de criminalisation qui, par contagion, seront susceptibles de s’étendre à tous ceux perçus comme un péril pour le pacte républicain, devenu un pacte de la peur.

On peut regretter que ce réquisitoire ne se désolidarise pas de ce qui fut, en 2008, la genèse de cette triste affaire dite de Tarnac : l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique alors en place. Il faut se souvenir de cette mise en scène préméditée jetant en pâture le groupe de Tarnac, alors interpellé devant des caméras convoquées par le ministère de l’Intérieur le désignant, sans ambages, comme le nouvel ennemi intérieur. Que sept années plus tard, le réquisitoire du parquet recycle cette fatwa publiquement lancée est confondant mais malheureusement peu surprenant. Cette esquisse de jurisprudence, en étirant la définition du terrorisme, pourrait demain, entre de viles mains, rajouter d’autres souffrances aux souffrances sociales de notre pays, des peurs imaginaires, de légitimes sentiments d’injustice, au lieu de consolider et d’entretenir avec fierté notre pacte républicain.

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