11 décembre 2008 | auteur : Jean Pierre Dubois -Président de la Ligue des Droits de l'Homme
Des libertés constitutionnelles ont été violées.
On a jeté en pâture des éléments concernant ces jeunes, en triant d’ailleurs soigneusement, en déformant les choses. On a violé le secret de l’instruction. On a violé la présomption d’innocence. Tout ça ce sont des garanties constitutionnelles de nos libertés qui n’ont pas été respectées. Cela engage gravement la responsabilité des gouvernants de la république. Première observation.
Deuxièmement, la disproportion entre ce que l’on a raconté, ce que l’on a fait croire pendant quelques jours, et les faits réels est évidente. Quels que soient les auteurs de ces actes, et rien ne permet actuellement d’affirmer que ce soit ces jeunes qui sont les auteurs de ces actes, mais quels que soient les auteurs de ces actes, une chose est de dire que ces actes peuvent êtres poursuivis -parce qu’il s’agit effectivement de dégradation de matériel et de gêne pour un service public- une autre chose est de prétendre qu’il s’agit de terrorisme. Aucune vie n’a été mise en danger par ces actes sauf peut-être celle de ceux qui les ont commis. Il n’y a pas l’ombre de quoi que ce soit qui ressemble à de la terreur vis-à-vis des populations civiles. Autrement dit, il y a une opération volontaire qui vise à qualifier de terrorisme des actes qui n’en sont pas. C’est une opération politique et elle dépasse le cas individuel même si bien sûr on pense d’abord à ses victimes.
C’est quoi cette opération politique ? C’est l’utilisation de loi d’exception dans un cadre incompatible avec la démocratie. Ce n’est pas seulement la disproportion. Je voudrais attirer l’attention sur le chef de mis en examen « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Il y a des années que la Ligue des Droits de l’Homme dénonce cette qualification pénale comme étant, en elle-même, extrêmement dangereuse pour la démocratie. Elle est tellement large et tellement floue que nous sommes très nombreux à cette tribune à pouvoir éventuellement être mis en examen de ce chef. Parce que nous aurions éventuellement pris position pour les droits d’une personne qualifiée de terrorisme ici ou là.
Plus généralement, cela fait 22 ans, depuis 1986, que la France a un régime de lois d’exception dites antiterroristes, que la Ligue des Droits de l’Homme dénonce et dont elle demande l’abrogation. Parce que seul le droit commun protège les libertés, et que les régimes d’exception finissent par des pratiques d’exception, on le voit avec cette affaire.
Il y a un climat de dérive très inquiétante aujourd’hui, il n’y a pas seulement des lois d’exception depuis 22 ans, il n’y a pas seulement les suites des attentats de 2001 qui ont été un merveilleux prétexte pour faire reculer les libertés dans toutes les démocraties. Il y a aussi depuis quelques semaines quelques choses sur quoi il faut absolument réagir avant qu’il ne soit trop tard, parce qu’il y a ce qu’il s’est passé le 11 novembre à Tarnac avec la manière dont on a littéralement terrorisé les populations civiles en pleine nuit comme si on était face à El Quaïda. Il y a ce qui s’est passé ensuite dans le Gers où des jeunes collégiens ont vu un chien policier lâché au milieu d’une classe sans que les professeurs soient prévenus et en demandant aux professeurs de fermer leur gueule ( je m’excuse mais c’est comme ça que cela a été dit). Il y a ce qui se passe avec le journaliste de Libération, tout le monde est au courant, on arrête un journaliste à 6h30 du matin, on l’humilie devant ses enfants, on le menotte et on lui fait passer des fouilles anales. Tout ça parce qu’il y a une affaire de diffamation extrêmement banale qui date d’il y a deux ans.
Je tien à dire que ça : c’est l’écume de quelque chose
On pourrait comprendre ce type de logique qui vise à criminaliser des gens pour ce qu’ils sont, qui vise à dire qu’une circonstance aggravante est d’avoir participer à une manifestation légale à Vichy contre la politique de l’Europe forteresse, qui vise à dire que c’est également une circonstance aggravante que de lire des livres jugés subversifs alors que ces livres ne sont pas interdits. Qui vise aussi à dire, dans un réquisitoires que l’un des accusés mène –je cite- « une vie dissolue », on se croirait dans les années 40, je ne sais pas de quel ordre moral relève ce genre de réquisition d’un parquet.
Tout cela vise à préparer quelque chose. Tout cela vise à préparer l’idée que, comme on poursuit les délinquants de la solidarité, comme on poursuit de peine correctionnelle des gens qui donne à manger ou qui donne des tentes aux sans papiers autour de Sangatte, on va maintenant essayer d’intimider tous ceux qui pensent différemment ou qui protestent de manière énergique mais d’une manière qui ne met en danger aucune vie.
Et je crois qu’il est temps que les citoyens soient nombreux à dire « ça suffit ! ». Il y a des limites à la transformation de ce pays en quelque chose qui peut se comprendre à Tunis ou à Pékin mais pas dans un Etat de droit.
Peu importe ce que nous pensons les uns et les autres, ces jeunes sont innocents. Pour une raison très simple, c’est que personne n’a prouvé leur culpabilité, la présomption d’innocence ça veut dire ça. La question n’est pas de savoir si nous pensons qu’ils sont innocents ou pas, ils sont innocents ! C’est ce que dit la Constitution Française depuis le 26 août 1789. Alors soit on y tient soit on n’y tient pas. Sinon comme le journaliste de Libération est-ce qu’on pense qu’il est innocent ou coupable : il est innocent ! C’est à l’accusation de prouver qu’ils sont coupables.
Ils sont innocents ! C’est la seule chose à dire ou alors nous ne sommes plus une démocratie. Ou alors nous sommes tous présumés coupables et c’est justement ça qu’on veut nous mettre dans la tête.
Donc déjouons ce type de chose qui installe dans les têtes que c’est à nous de prouver qu’on est vraiment innocent, que c’est à nous de prouver ce qu’on a fait la nuit dernière, que c’est à nous de prouver qu’être des citoyens qui contestent le gouvernement ce n’est pas être des terroristes.
NON ! Dans un Etat de droit c’est le contraire ! Donc essayons d’en tenir compte parce que c’est très important pour que les citoyens ne soient pas piégés par la manœuvre politique.
Je voudrais citer le ministre allemand de l’intérieur, M. Wolfgang Schäuble qui a déclaré en septembre 2007, et c’est une dépêche de l’AFP vous pourrez vérifier, pour lutter efficacement contre le terrorisme il faut traiter toute la population comme des terroristes potentiels. C’est ça qui nous menace !