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Carlo Santulli

lun. 18 oct. 2010

Intervention de Carlo Santulli - Professeur de droit

Verbatim colloque Lois antiterroristes 25 ans d'exception - Tarnac, un révélateur du nouvel ordre sécuritaire.
Lundi 18 Octobre 2010 à l'Assemblée Nationale 

2eme table ronde : Gouvernance et terrorisme


Merci de me donner la parole. Je suis heureux d'avoir le dernier mot, ça me fait plaisir. Merci de m'avoir invité, encore que le premier réflexe lorsque vous avez eu l'amabilité de m'inviter a été de décliner car j'avais un peu la frousse. Le terrorisme ça fait peur, le terrorisme, Tarnac, on a peur et moi j'avais peur, j'ai même très peur. Je suis très inquiet de ce qui va arriver à la fin de la journée. C'est d'ailleurs la seule certitude que j'ai sur la question du terrorisme, c'est que la peur est au centre de cette question mais, pour le reste, je suis vraiment dans l'incertitude. Je n'ai pas très bien compris ce que c'est que le terrorisme. Ça ne me gêne pas. J'ai l'habitude de parler de choses auxquelles je ne comprends rien. Mais là c'est particulièrement embarrassant.

La difficulté sur la notion de terrorisme, vous l'avez déjà mesurée, c'est qu'il y a des infractions de droit commun, le fait de la détérioration de biens, l'atteinte aux personnes. Il y a des choses qui sont des infractions ordinaires, disons de droit commun. Puis il y a un autre élément qui fait que l'on sort justement de l'ordinaire, pour entrer dans le dérogatoire, dans l'exceptionnel, le terrorisme. Mais qu'est-ce que c'est que ce dernier élément qui nous fait basculer de l'ordinaire vers le terrorisme ? Alors il y a des tentatives pour l'identifier : la terreur, le trouble à l'ordre public, l'organisation, mais ce sont des mots qui renvoient aussi à autre chose et l’on ne voit pas très bien à partir de quel moment le fait de braquer une banque c'est braquer une banque et à partir de quel moment ça devient une infraction terroriste.

Moi par exemple, j'ai cassé les vitres de la voiture de mon voisin parce qu'il draguait ma femme. C'est vilain, mais on est dans une logique d'infraction passionnelle. J'ai également, c'est une habitude, cassé les vitres de la voiture d'un autre voisin qui me doit de l'argent. On est plutôt dans le crapuleux. Mais je suis également militant actif d'un mouvement communiste qui estime que la voiture est le symbole de la propriété privée, et donc on casse les vitres de la voiture pour remettre en cause la propriété privée. Et là je risque peut-être de passer quelques mois en garde-à-vue au bas mot. C'est là, peut-être, que je glisse du terrain de l'infraction ordinaire vers le terrain de l'infraction terroriste.  C'est-à-dire qu'en regardant de près, je ne vois pas quoi d'autre que le critère politique, l'objectif politique, idéologique si vous voulez, qui permet de passer de l'infraction de droit commun à l'infraction ordinaire, à l'infraction terroriste. C'est ce qu'on appelait jusqu'à une période récente, les infractions politiques. Et d'ailleurs l'« Affaire de Tarnac » est la plus représentative de tout ça. Tout à coup c'est un livre qui est venu fédérer la procédure, un livre que j'ai, je l'avoue, je l'ai. Je le cache. On ne sait jamais qu'il prenne feu à la maison. J'ai des enfants, c'est très angoissant, mais je possède ce livre. C'est la présence de ce livre, la dimension idéologique, mais je n'en fais pas une affaire de principe. On peut être magistrat et puis avoir une excellente qualité de critique littéraire et d'analyse d'un texte, ça n'est pas le problème. Et l’on voit très bien que dans la présence de ce livre, et la dimension idéologique et politique qu'il donne à l'affaire, est le ciment un peu de toute cette affaire assez incroyable cependant. Mais on ne peut pas je crois détacher le terrorisme de sa dimension politique. En tout cas l'infraction terroriste.

Alors on a fait des efforts pour expurger le concept d'infraction politique du droit contemporain et cela a conduit à un résultat extrêmement incohérent que je résume de la façon suivante : avant, lorsque l'infraction était caractérisée d'infraction politique, on refusait, on pouvait refuser l'extradition des personnes en disant « c'est un peu comme le droit d'asile l'infraction est politique, je refuse ! » Et à partir du milieu des années 60, on a remis en cause cette exception et l’on a considéré que s'il y a une infraction ordinaire, une infraction de droit commun grave, on fait disparaître le caractère politique, on est dans le droit commun, et on extrade.

Du coup on est aujourd'hui dans cette situation incroyable où la personne qui a braqué une banque, on laisse tomber la voiture, la personne qui a braqué une banque, on demande son extradition, le Juge de l'extradition dit : « Vous l'avez peut-être braqué pour financer un mouvement communiste, mais vous avez braqué une banque. Du coup c'est du droit commun, je vous extrade. » Il est extradé. Il va de l'autre côté de la frontière, et le Juge lui dit : « Vous avez peut-être braqué une banque, mais vous l'avez fait pour financer un mouvement communiste, du coup vous êtes terroriste. Allez, détention provisoire ad vitam aeternam. » C'est cette tension incroyable qui consiste à vouloir faire disparaître l'infraction politique alors qu'elle est au cœur de la problématique du terrorisme, qui crée ces incohérences avec lesquelles nous vivons dans cette société qui n'est pas totalitaire …du tout.

Alors si c'est vrai que c'est le caractère politique de l'infraction qui caractérise le terrorisme, la conséquence est que, bien entendu, la réaction au terrorisme, donc l'antiterrorisme, est elle-même naturellement liée à cette qualification politique. Car sans l'analyse politique, il n'y a pas d'infraction terroriste, et du coup la réaction est objectivement liée à cette analyse politique. De ce coup deux risques. Un risque disons d'arbitraire, là on est dans le sentimental, dans le passionnel, et là on est dans le politique. Le risque du choix, du combat politiquement acceptable, ou du combat qui devient politiquement déviant et qui mérite l'incrimination terroriste. Donc le premier risque, l'arbitraire, l'incertitude, la liberté de la qualification. Et puis deuxième risque, c'est que celui qui est chargé de la lutte antiterroriste finisse par ressembler à celui contre lequel il lutte, et à lui ressembler objectivement. Ne serait-ce que parce que, n'est-ce pas, la sanction pénale fondée sur la dissuasion c'est la trouille, les deux veulent faire peur.

Donc deux exemples, qui sont deux exemples limites, je le reconnais.

Le premier exemple, c'est de la façon idéologique la plus générale, c'est la guerre contre la terreur, la guerre contre le terrorisme des États-Unis d'Amérique, ce concept de lutte antiterroriste a été utilisé, pas exclusivement, il n'y avait pas qu'elle, il a été utilisé pour légitimer des opérations qui sont subjectivement ressenties dans les pays qui les ont subi, en Irak ou ailleurs, comme des violences arbitraires pouvant être apparentées à des méthodes terroristes.

Deuxième exemple, qui est un de mes dadas, c'est l'histoire de la banque islandaise, Lansbanki, qui en pleine crise financière, il y avait des Britanniques qui avaient perdu de l'argent, et des Hollandais aussi donc dans un établissement bancaire islandais, et tout à coup, le 8 octobre 2008, je vous cite l'Ambassade d'Islande au Canada : « Le gouvernement Britannique a décidé d'appliquer la Loi antiterroriste pour la sécurité de 2001 contre Landsbanki », contre la banque islandaise. « Ordre a été donné par le Ministère des Finances britannique, de geler les avoirs de Landsbanki. » Bon, geler les avoirs d'une banque islandaise, c'est qu'en même de très bons gagmen mais la question est tout de même assez redoutable et révélatrice, pourquoi ? D'un côté elle montre un peu ce que vous disiez, c'est-à-dire qu'au Royaume-Uni la propriété privée est une chose sérieuse et du coup il n'y a pas d'instruments pour prendre comme ça l'argent d'une banque. Le seul instrument qui a été trouvé, c'est la législation antiterroriste. Pour les Islandais, c'est les Islandais quand même, c'est un pays membre de l'OTAN comme le Royaume-Uni. C'était la première fois que ça se faisait, donc on a dû utiliser la législation antiterroriste. Et si vous vous mettez du côté islandais, ça ne se fait pas comme ça, ils négocient, mais si vous vous mettez du côté islandais, qu'a ressenti l'Islande ? Elle a ressenti une atteinte à la propriété privée, dans un projet politique articulé, il y avait une volonté de faire pression sur l'Islande pour obtenir une solution voulue par la Grande-Bretagne à la crise économique. C'est-à-dire que si on mettait en Droit islandais un article un peu comme celui qui existe en Droit français, l'application de la législation antiterroriste pourrait assez commodément, même sans ma mauvaise foi, tomber sous une incrimination d'une infraction terroriste.

Donc des situations idéologiques extrêmes, d'extrême conflictualité, alors ça devient ultra-visible. Si vous voyez au Moyen-Orient, chacun accuse l'autre d'être terroriste, les uns disent aux autres « vous êtes des terroristes », et puis les autres disent « Vous êtes des terroristes », c'est un peu comme dans les barbouzes, quand on demande à l'espion s'il est dans l'espionnage, il dit « Ah non, je suis dans le contre-espionnage. Les espions, c'est eux. » Vous voyez la problématique générale qui illustre cette confusion entre la menace terroriste et la réaction au terrorisme.

Je n’ai pas vraiment de conclusion à cette enquête, ce bref regard, si ce n’est que l’on ne sait pas très bien ce qu’est la définition de terrorisme ; ce qui est certain c’est que l’antiterrorisme lui ressemble dans sa méthodologie, ses techniques utilisées. 

On peut avoir deux regards, un regard un peu tragique qui est quand on regarde dans l’abîme, l’abîme regarde en vous, c’est inévitable que le combat antiterroriste finisse par ressembler à l’objet du combat
Ou bien une version moins dramatique plus Coluchienne qui est que le terrorisme c’est le mot qui désigne la violence des hommes pour faire peur aux autres hommes, l’antiterrorisme c’est le contraire.

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