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par William Bourdon et Marie Dosé avocats

ven. 5 juin 2015

Note à fin de non lieu - III. Conclusion

Il n’existe pas de charges suffisantes pour renvoyer nos clients devant une juridiction de jugement, et le réquisitoire, dans sa construction et son propos, en est la preuve flagrante.

 

Madame le Procureur de la République, parce qu’elle est bien en peine de se concentrer sur des charges dignes de ce nom, préfère parsemer son réquisitoire de quelques saillies s’apparentant à des manifestations d’opinion ou des tentatives de dénigrement personnel, que nous ne pouvons faire semblant d’ignorer. Le choix du vocabulaire du parquet démontre avant tout le peu d’objectivité dont il fait preuve dans son analyse : il s’attache davantage à tenter de dénigrer ce que représentent les mis en examen aux yeux d’un parquet dont l’animosité est flagrante, qu’à rassembler les charges suffisantes justifiant leur renvoi devant une juridiction pénale. Nous avons eu en réalité le sentiment, à la lecture de ce document, d’un règlement de comptes dénué de toute velléité juridique et judiciaire.

 

Il suffira pour s’en convaincre de lire attentivement les passages du réquisitoire consacrés à Mme Lévy et au déroulement de sa garde à vue, ou ceux faisant référence à la mère d’une des mises en examen, Mme Hallez, aujourd’hui décédée.

 

La violence avec laquelle les interpellations ont été diligentées dans le cadre de ce dossier et leur médiatisation à outrance répondant à des impératifs politiques auraient dû conduire le parquet à faire preuve d’un peu d’humilité et de discrétion, et à passer sous silence certains traitements peu reluisants auxquels ont eu droit les mis en examen et leur entourage.

 

Evoquer avec élégance les « pseudo-malaises » ou la « simulation de faiblesse psychologique » d’Yildune LEVY au cours de sa garde à vue démontre avant tout le besoin farouche et peu rassurant du parquet de « déshumaniser » les mis en examen, dont l’image doit nécessairement répondre aux impératifs d’une qualification terroriste, et son constant souci de légitimer le coup de force procédural et médiatique du mois de novembre 2008.

 

Le parquet persiste par ailleurs à exploiter les déclarations de la mère d’une des mises en examen, alors âgée de 64 ans, professeur de mathématiques retraitée, placée en garde à vue pendant 58 heures et auditionnée à sept reprises dans des conditions inqualifiables.

 

Cette femme, rongée par cette interpellation et cette procédure jusqu’à son décès, a dû répondre d’accusations à peine déguisées sur la façon dont elle avait élevé ses enfants, ses pensées et opinions, ses activités militantes à RESF par exemple, mais surtout sur la vie privée de sa fille et les relations qu’elle pouvait entretenir avec elle depuis la survenance d’un grave accident particulièrement traumatisant. Cette intrusion violente et indécente dans l’intimité de Mme Hallez n’avait d’autre but que de recueillir des éléments à charge contre sa propre fille, dans un contexte douloureux sur lequel le parquet devrait avoir la décence de ne pas s’étendre. Que le magistrat instructeur ait décidé de poursuivre cette entreprise de déstabilisation en usant à l’encontre de Mme Hallez des mêmes techniques d’interrogatoire dans son cabinet est une chose, que le parquet persiste à exploiter cet épisode outrageant pour la justice à ce stade de la procédure en est une autre. Et, par décence, nous remercions le parquet de ne plus convoquer les mères de famille décédées et malmenées par la brutalité d’une interpellation et l’indécence des questions posées, pour asseoir tels ou tels points de sa tentative de démonstration.

 

Ce qui est finalement le plus clairement reproché à nos clients au sein de ce réquisitoire est de s’être défendus et de continuer à se défendre (« joutes procédurales et médiatiques » comprises), alors que tous les moyens ont été mis en œuvre pour les en empêcher.

 

Une défense digne de ce nom implique le respect du principe du contradictoire, principe qui ne peut être efficient qu’à deux conditions : l’existence d’éléments tangibles reprochés à un mis en cause qui est donc en mesure d’y répondre concrètement, et sur lesquels se fonde un véritable raisonnement juridique ; et la possibilité pour ce même mis en cause d’obtenir des mesures d’instruction mettant en exergue ses moyens de défense. En l’occurrence, les mis en examen de ce dossier ont été privés de ces deux éléments pendant sept années : toutes leurs demandes d’actes ou presque ont été rejetées, et les éléments auxquels ils sont censés apporter une réponse juridique et judiciaire relèvent du délit d’opinion et d’une construction déloyale étrangère au droit pénal et à la procédure pénale.

 

Si la dénonciation d’une instruction « exclusivement à charge » peut parfois être perçue comme un artifice d’avocats, personne ne peut affirmer en l’espèce que ce dossier a également été instruit à décharge et que les mis en examen ont pu, librement, se défendre des accusations portées à leur encontre. Priver nos clients de tous leurs moyens de défense en allant jusqu’à nier leur existence au sein d’un réquisitoire n’était pas suffisant ; il leur est aujourd’hui reproché de ne pas avoir immédiatement abdiqué et de ne pas avoir, finalement, aidé l’accusation à se sortir du marasme dans lequel elle s’est vite retrouvée malgré les moyens considérables qui ont été les siens.

 

Selon le réquisitoire, certains mis en examen ont ainsi trop facilement repéré les surveillances dont ils faisaient l’objet ou n’auraient pas dû noter les numéros d’immatriculation des véhicules de la SDAT qui les suivaient : cela démontre en effet aux yeux du parquet non pas que les policiers en charge desdites surveillances sont incompétents mais que nos clients sont de grands professionnels roués à déjouer les surveillances les plus invisibles de l’élite policière française. Dont acte.

 

Et puis surtout, les mis en examen emploient finalement peu ou prou des méthodes terroristes pour se défendre :

« Faire confondre l’exercice de la liberté politique et l’action terroriste comme les mis en examen ont tenté de le faire afin de se victimiser, relève d’un mode de défense qui ne saurait emporter la conviction tant il est convenu et commun à l’ensemble des groupes terroristes quelque que soit leur importance ».

 

Et voilà comment le choix d’une défense, pourtant empêchée voir interdite, et qui n’a au demeurant jamais fait l’objet de poursuites judiciaires ou disciplinaires, vient conforter la qualification terroriste d’une infraction…

 

Vous remerciant de l’attention que vous porterez à la présente,

 

Nous vous prions de croire, Madame le Vice-Président, en l’assurance de notre parfaite considération.