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William Bourdon et Marie Dosé avocats   

ven. 5 juin 2015

Note à fin de non lieu - I. Remarques générales sur le réquisitoire notifié aux parties

Nous tenons dans un premier temps à dénoncer le choix du parquet de préférer la presse aux parties, et d’avoir ainsi communiqué son réquisitoire aux journalistes avant de le transmettre aux mis en examen et à leurs conseils.


Nos clients ont en effet appris par la presse le sens des réquisitions du parquet alors même que nous n’avions pas été destinataires du document dont s’agit, et que nous nous trouvions donc dans l’impossibilité de répondre à leurs légitimes interrogations. Certains journalistes, afin de nous faciliter la délicate tâche d’avoir à réagir à des arguments qui ne nous avaient pas été notifiés, ont eu l’extrême gentillesse de nous proposer une copie dudit réquisitoire dont ils étaient en possession. En fait de communication, nous ne pouvons que saluer l’honnêteté intellectuelle du parquet tendant à considérer que les mis en examen et les avocats doivent passer après la presse pour prendre connaissance d’un réquisitoire qui dénonce pourtant « l’instrumentalisation des media » par les mis en examen et « certains de leurs conseils ». Mais nous ne sommes plus à une incohérence et à une malhonnêteté intellectuelle près.


Le réquisitoire dont s’agit a effectivement cette particularité de nier totalement l’existence de pans considérables du dossier dont vous avez hérité, et notamment de tous les moyens de défense versés en procédure établissant l’absence de charges suffisantes pour renvoyer nos clients devant une juridiction de jugement. C’est un peu comme si Madame le Procureur de la République avait considéré que ce dossier pouvait sans difficulté aucune se passer de l’existence des mis en examen, faisant l’opportune économie d’essayer de répondre aux arguments de la défense. A défaut d’y répondre sur le fond, donc, Madame le Procureur de la République a préféré se contenter de les qualifier de « lutte médiatico-procédurale », de « recherche de déstabilisation », de « joutes médiatiques » et de « joutes procédurales »… La forme est toujours plus simple à manier que le fond, et nous nous excusons par avance de ne pas céder à la même facilité et au même mépris que Madame le Procureur de la République au sein de cette note à fin de non-lieu. Contrairement au réquisitoire en effet, cette note sera exclusivement consacrée aux prétendues charges pesant sur les mis en examen, charges auxquelles le parquet a daigné consacrer 7 pages sur 135, préférant diversifier ses pseudo-compétences en critique littéraire, philosophie des mouvements sectaires, ou sciences-politiques.

 

En se concentrant sur ce panel de vocations ratées, le parquet a omis de démontrer la suffisance des charges pesant sur nos clients qui pourraient justifier leur renvoi devant le tribunal correctionnel.

 

Et puis, surtout, les disparitions de certaines cotes du dossier au sein du réquisitoire établissent la difficulté du parquet à contrer ce qu’il préfère tenter d’oublier et de faire oublier… Il en est ainsi de M. Kennedy, grand absent de ce réquisitoire, qui a pourtant eu un rôle prépondérant dans la construction intellectuelle de cette affaire. Madame le Procureur de la République n’a même pas essayé de balayer avec mépris et d’un revers de main cet élément à charge d’une si haute importance, préférant faire comme si M. Kennedy, tout comme les moyens de défense exposés par nos clients pendant près de sept années, n’avait jamais existé au sein de cette enquête et de cette instruction. Rappelons ici que seuls les mis en examen ont permis de révéler l’existence de cet agent pour le moins sulfureux dont le Parquet aurait évidemment préféré qu’elle reste dissimulée. Et c’est la raison pour laquelle nous nous autorisons à évoquer la malhonnêteté intellectuelle d’un tel réquisitoire.

 

A M. Kennedy, Madame le Procureur de la République a préféré M. Bourgeois, témoin à charge d’une fiabilité hors pair et dont les allégations ponctuent une grande partie du réquisitoire qui nous est soumis. Tout a été écrit, dénoncé, et reconnu concernant M. Bourgeois, et nous n’allons pas répéter ce qui est d’ores et déjà acté au dossier. Nous regrettons simplement la défiance des acteurs judiciaires pendant des années concernant un témoin aussi fiable et crédible que celui-ci venant au secours du parquet à le confronter à nos clients. Mais nous restons persuadés que le parquet, qui ose asseoir sa pseudo-démonstration sur un tel témoin, ne manquera pas de le faire citer à l’audience en cas de renvoi devant le tribunal correctionnel pour apporter un peu plus de crédibilité à ce personnage qui n’en manque pas…

 

Si M. Bourgeois avait été un témoin à décharge entendu à la demande de la défense dans ce dossier, le parquet n’aurait pas manqué de consacrer plusieurs pages de son réquisitoire à mettre en exergue l’absence totale de crédibilité d’un tel témoin, aurait raillé sa personnalité, ses fragilités psychologiques, et se serait fait un immense plaisir de réduire en miettes son témoignage. Le phénomène Bourgeois, comme le phénomène « carte bancaire d’Yildune Lévy » sur lequel nous reviendrons, est tout simplement emblématique de la déloyauté que ponctue cette enquête et cette instruction.

 

Nous nous efforcerons de notre côté, toujours dans l’hypothèse d’un renvoi, de combler les lacunes d’un parquet décidément amnésique : nous inviterons ainsi à l’audience, d’une manière ou d’une autre, M. Kennedy au bon souvenir du parquet, et interrogerons avec précision M. Bourgeois, bien évidemment cité comme principal témoin à charge par le ministère public.


Cette amnésie se propage au sein du réquisitoire, et tout particulièrement lorsque Madame le Procureur de la République évoque le départ forcé de M. Fragnoli le 27 mars 2012 (page 114). Il est en effet relaté que ce magistrat instructeur a été contraint de solliciter son dessaisissement à la suite de « la parution depuis trois ans de nombreux articles de presse, dont certains mettaient en cause son impartialité ». Ce que le parquet omet de préciser est qu’en réalité, M. Fragnoli était à l’époque visé par une requête en récusation consacrée à la rédaction par ses soins d’un mail en date du 12 mars 2012 à l’attention de plusieurs journalistes qu’il qualifiait d’ « amis de la presse libre, je veux dire celle qui n’est pas affiliée à Coupat/Assous ». Rien de moins.

 

Que le parquet juge peu reluisante la référence explicite à de tels épisodes qui n’ont pas manqué de ponctuer et de polluer toute l’instruction n’est pas surprenant, mais qu’il soit obligé de tronquer la réalité du cours de cette procédure en passant sous silence ce qui le dérange relève, nous le répétons, d’une certaine malhonnêteté intellectuelle.

 

La construction du réquisitoire qui nous est soumis répond de surcroît à une logique d’une grande singularité puisque sont développés sur 120 pages les éléments qui ne seront finalement pas retenus à l’encontre de nos clients.

 

Ce malheureux document est un florilège de sophismes, de syllogismes, d’affirmations d’autorité. Il est, finalement, l’aveu ultime de l’impuissance du parquet à articuler le moindre commencement de preuve de la suffisance des charges après sept années d’une construction intellectuelle acharnée.

 

Le parquet fait ainsi longuement référence à des opérations financières qui n’ont jamais fait l’objet de poursuites ou d’investigations particulières au sein de la présente information ; à des signalements TRACFIN qui n’ont donné lieu qu’à des décisions de classement sans suite ; à des « actions de basse intensité » définies comme « des attaques contre l’ANPE » pour lesquelles « les investigations ne permettaient pas d’en identifier les auteurs » ; à des dégradations du réseau ferré qui ne sont pas retenues à l’encontre de nos clients ; au contenu d’un livre qui n’a jamais fait l’objet de poursuites judiciaires ; à des exploitations vidéo aux Etats-Unis qui n’amenaient « aucun élément utile » ; à des manifestations de soutien aux mis en examen qui leur étaient directement imputés comme éléments à charge ; à des contacts britanniques, italiens, allemands et grecs pour lesquels, de l’aveu même du parquet, aucun élément à charge sérieux ne pouvait être mis en exergue ; à des auditions et placement en garde à vue de forgerons ou de baby sitters dont le seul intérêt a été de ridiculiser un peu plus l’information en cours ; à la découverte d’instruments de sabotage parfaitement étrangers aux faits dont vous êtes saisie ; à des surveillances, des vidéo-surveillances et des écoutes téléphoniques vaines mais obstinées et parfois illégales ; à la participation de certains mis en examen à des manifestations au sein desquelles ils « entonnaient dans un mégaphone une chanson contestataire » ; à des sonorisations de parloir n’ayant servi qu’à porter atteinte aux libertés fondamentales ; à « l’invention » d’une découverte de tubes parfaitement fantasque ; et à une prétendue activité de faussaire dont il ne reste plus grand-chose… Quant aux infractions relatives au refus des mis en examen de se soumettre à des prélèvements biologiques, force est de constater qu’elles ne sauraient être constituées, puisqu’il n’existait aucun « indices graves ou concordants » ou « raisons plausibles de soupçonner » la commission d’infraction lorsque les prélèvements ont été sollicités.

 

Cet inventaire « à la Prévert » constitue en réalité l’inventaire de toutes les déloyautés dont cette enquête et cette information ont fait preuve. De la mise en place d’écoutes administratives inattaquables grâce à l’opportun secret-défense, à la prodigieuse loufoquerie d’une « surveillance » derrière laquelle le parquet ose encore se retrancher (D 104) ; il n’y a finalement rien de surprenant à ce que le parquet se contente de caresser son obsession de voir les mis en examen renvoyés devant un tribunal correctionnel au sein d’un réquisitoire vide de toute substance. Ce réquisitoire est et restera la conséquence mécanique de sept années de déloyauté judiciaire.

 

Plus grave encore, la dérive consistant à forger la conviction de l’intention terroriste à partir d’un écrit (qui, rappelons-le une fois encore, n’a jamais fait l’objet de poursuites) relève d’une tradition juridique sinon politique qu’on aurait souhaité voir reléguée au temps passé. Instrumentaliser à ce point un livre pour tenter d’asseoir l’élément intentionnel d’une infraction à caractère terroriste est une régression. La sinistre démonstration du parquet est la suivante : l’écrit fait l’intention, l’intention fait l’action, et la preuve de la suffisance des charges découle donc sans difficulté aucune de l’écrit en question. Nous ne pouvons douter qu’un magistrat instructeur indépendant et impartial écartera sans ménagement un parti-pris qui, non seulement déshonore son auteur, mais risquerait d’éclabousser toute l’institution judiciaire.

 

Dans le cadre de cette note à fin de non-lieu, nous nous contenterons donc de répondre point par point au peu d’éléments à charge que le parquet a tenté de mettre en exergue au sein de son réquisitoire. Et dans la mesure où Madame le Procureur de la République a été frappée de cécité à chacune des observations écrites, demandes d’actes ou requêtes de la défense actées en procédure, nous l’aiderons à prendre connaissance des cotes précises auxquelles il aurait pourtant été utile de répondre pour asseoir sa pseudo-démonstration.

 

Pendant sept années, la défense a en effet multiplié les demandes d’actes et observations écrites (qualifiées de joutes procédurales à tendance terroriste) sans qu’il en soit tenu compte, et il n’est plus temps, à ce stade de la procédure, de nous faire accroire que l’instruction a été menée à charge et à décharge. Car s’il n’est plus à démontrer que M. Fragnoli a instruit à charge contre nos clients pendant près de cinq années, aucun acte d’instruction digne de ce nom, si ce n’est l’interrogatoire de Mme Lévy, n’aura été diligenté par votre cabinet depuis votre saisine.

 

Mais nous ne doutons pas qu’à l’unisson avec le parquet, vous expliquerez que cette inertie n’était due qu’à la folie procédurière de nos clients qui ont osé porter l’authenticité de la cote D 104 devant un magistrat instructeur du Tribunal de Grande Instance de Nanterre, allant jusqu’à terroriser la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Versailles en interjetant appel d’une ordonnance de non-lieu…

 

Nous constatons à ce stade qu’aucune demande d’acte ou presque n’a été acceptée dans le cadre de cette instruction, qu’il s’agisse de demandes de reconstitutions, de confrontations avec les témoins, d’investigations complémentaires ou de jonctions de procédure. Et ce mur réfractaire à toutes mesures d’instruction à décharge s’est illustré à maintes reprises dans des arguments d’une particulière mauvaise foi… C’est ainsi que, à titre d’exemple, si la carte bancaire d’Yildune Lévy, dont l’exploitation a nécessité des années d’investigations contrairement aux autres, a été utilisée à Paris à une heure où les policiers attestaient de sa présence à Trilport, c’est qu’elle avait été confiée à l’un de ses proches… Mais si la carte bancaire d’Yildune Lévy avait été utilisée à Trilport à l’heure où les policiers ont affirmé avoir constaté sa présence lors de leur surveillance, nul doute que personne n’aurait osé affirmer, pas même la défense (aussi terroriste et de mauvaise foi puisse-t-elle être), qu’Yildune Lévy l’avait tout simplement confiée à un tiers… Cette anecdote est finalement révélatrice non pas d’une défense terroriste mais d’une défense interdite et impossible, que seule une instruction anti-terroriste exclusivement à charge peut et sait mener à bien.

 

Il n’est donc plus temps aujourd’hui de répéter ce qui, de toute façon, ne sera ni entendu ni pris en considération dans le cadre de la présente information. Nous nous contenterons de répondre aux pseudo-arguments du parquet en quelques lignes et en renvoyant à toutes les cotes de ce dossier établissant l’absence de charge à l’encontre de nos clients, cotes qui n’ont visiblement jamais été lues par le parquet.

 

Enfin, et dans la mesure où nos clients – malgré un renversement de charge de la preuve flagrant, ont parfaitement démontré tout au long de l’information qu’aucune charge sérieuse ne pouvait être retenue à leur encontre concernant les infractions visées au sein du réquisitoire, nous ferons l’économie de développer l’absurdité de la qualification retenue à l’encontre de trois des mis en examen dont le renvoi est sollicité pour « participation à un groupement formé (…) en vue de la préparation caractérisée (…) d’un des actes de terrorisme mentionnés à l’article 421-1 du code pénal ».

 

Si l’institution judiciaire ose confirmer que la participation à des rencontres et des manifestations politiques en France ou hors de nos frontières conjuguée à des choix de modes de vie plus isolés que d’autres et au contenu d’un livre philosophique n’ayant jamais fait l’objet de poursuites sont trois critères à même de caractériser la qualification terroriste d’une infraction ; elle devra l’assumer pleinement dans le cadre d’une audience publique consacrée non pas aux prétendues charges pesant sur nos clients, mais au délit d’opinion et à l’instrumentalisation politique de l’institution judiciaire dans toute sa splendeur.