Dimanche tranquille à Levallois-Perret… ou presque. Quand on arrive, un peu après midi, une partie de la rue de Villiers est bloquée, protégée par un important dispositif de police et de gendarmerie – on compte, à vue de nez, une dizaine de camionnettes. Entre les deux rangées de barrières, le siège de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dont il n’est pas question de s’approcher. Et, à l’intersection avec la rue Paul-Vaillant-Couturier, une diagonale de bitume et quelques mètres carrés de pelouse. C’est là que la galaxie des opposants au projet de loi renseignement s’est donné rendez-vous, pour un rassemblement festif intitulé «Occupy DGSI».
A ce moment-là, ils ne sont encore qu’une vingtaine. La sono d’une camionnette fournie par la FSU (premier syndicat de la fonction publique) passe d’un morceau des Sales Majestés – «les patrons, c’est comme les cochons» – au Temps des cerises. On aperçoit déjà un petit stand d’Alternative libertaire, un drapeau du Parti pirate. Plus tard arriveront des représentants de la Ligue des droits de l’homme (LDH), du Syndicat de la magistrature, de la Quadrature du Net, de la Confédération paysanne, de l’union syndicale Solidaires, de l’union départementale CGT… Quelqu’un tague au sol un «fichés, numérotés, surveillés» multicolore.Mathieu Burnel, l’un des «Tarnac», qui la veille au soir tenait conférenceau festival de hacking parisien Pas Sage en Seine et invitait l’assistance à l’événement, grimpe dans un arbre pour accrocher une banderole«#Occupy DGSI». On sort les tables, les chaises, les bassines de taboulé, les tartes aux légumes, les cubis de blanc ou de rosé.
Le dispositif de sécurité tranche forcément avec cette ambiance de déjeuner à la campagne. «Ça nous flatte», s’amuse Françoise Dumont, la présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), pour qui le rassemblement «change un peu, permet de se parler». Un jour de Fête de la musique, un dimanche, à Levallois, elle n’espère certes pas la foule des grands jours, mais l’essentiel est de «ne pas arrêter de dénoncer» la loi sur le renseignement, dont tout indique qu’elle sera adoptée définitivement la semaine prochaine, mardi au Sénat et mercredi à l’Assemblée nationale.
«On est dans une autre temporalité», juge Mathieu Burnel, qui voit dans la loi renseignement une «excroissance» de la politique antiterroriste, et l’un des éléments d’une «offensive massive». Maintenant que l’adoption du texte est jouée, avance-t-il, «il faut être capable de se poser la question de ce qu’elle signifie, de ce dans quoi elle s’imbrique. Ici, on peut prendre le temps de comprendre, de s’organiser». «On est face à des termes qui écrasent le débat public, qui sont brandis pour justifier l’urgence : le chômage pour la loi Macron, le terrorisme pour la loi renseignement,explique de son côté Marion Lagaillarde, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. On est là pour créer les conditions d’autres espaces de débat.»
De débat, et de visibilité. Vers 14 heures, malgré la Fête de la musique, ils sont entre 150 et 200 rassemblés. Entre deux bouchées, deux gorgées, deux échanges, plusieurs participants se font tirer le portrait pour le projet«Usual Suspect», «fiche-toi pour aider l’Etat», lancé par des militants écolos. Quelques gamins courent, l’un d’eux s’en va discuter, par-dessus les barrières, avec deux gendarmes de faction. Au milieu de la petite foule, on apercevra, sous une casquette, le visage de Julien Coupat. Un dimanche pas tout à fait comme les autres à Levallois.