Le feuilleton du terrorisme à grande vitesse est presque arrivé à destination. Depuis les spectaculaires arrestations, en 2008, de militants d’une « ultragauche » fantasmée, l’enlisement le disputait à l’entêtement. Le procureur de la République de Paris persiste : il vient de prendre des réquisitions de renvoi à l’encontre de trois des mis en examen de Tarnac pour des infractions terroristes.
L’évidente absurdité de la qualification de terrorisme fondée sur la radicalité politique de jeunes épiciers libertaires ne l’a pas arrêté. Comme si rien n’avait changé depuis la circulaire de la Garde des Sceaux du 13 juin 2008 donnant mission à la Justice de neutraliser « la mouvance anarcho-autonome » érigée en nouvelle menace terroriste.
Au contraire, la posture est assumée. Elle trouve son assise dans la définition abusivement vaste des infractions terroristes dans la loi française. Un droit dérogatoire qui ratisse large puisqu’il n’est pas besoin de faire le choix de la violence pour commettre des actes terroristes. Pour peu qu’on y lise une volonté « de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », quelques dégradations suffisent à soumettre des militants politiques à une législation anti- terroriste d’exception, encore épargnée – mais pour combien de temps ? - aux cheminots en grève ou aux militants écologistes retardant les convois nucléaires.
C’est bien de lecture qu’il est question : jugeant acquise la participation à des dégradations, le parquet y adosse le mobile terroriste par l’exégèse d’un ouvrage de philosophie qu’il attribue aux mis en examen. Des individus dont le choix de l’isolement social, tout autant que la participation à des rencontres et des manifestations politiques jusqu’en dehors des frontières, finiraient de trahir la culpabilité ! Tandis que l’émotion supposée d’une population terrorisée par le retard d’un train, vient achever la curieuse construction intellectuelle.
Et le parquet de brandir l’arme fatale, l’association de malfaiteurs à visée terroriste, laquelle ne requiert ni commencement d’exécution, ni même projet terroriste défini, mais la seule démonstration de l’existence d’un groupe et d’une intention à peine formée. Ici, c’est la finalité présumée de renverser l’Etat par la violence qui a éveillé la prescience des services antiterroristes. Loin de tirer les enseignements de tant de procédures échouées, la justice persiste à s’en remettre aveuglément à des services spécialisés, qui, faisant métier d’intelligence, sauraient détecter et décrypter les pensées coupables en formation.
Las ! L’actualité n’est pas à la redéfinition légale du terrorisme, encore moins au retour vers le droit commun par l’abandon d’une qualification qui, sans être nécessaire à la répression des infractions les plus graves, relève en réalité d’une instrumentalisation politique du droit. La représentation nationale s’apprête au contraire à confier aux services de renseignement le droit de surveiller chacun, sans limitations ni contrôles réels et effectifs. Comment ne pas voir dans les réquisitions du parquet de Paris un encouragement à traquer les paroles et les opinions à l’aune des peurs du moment pour les prétendre criminelles. ?