Page disponible à l'adresse suivante : http://fragmentsduvisible.org/p-article-124-afficher

Intervention d'Hélène Flautre - Députée Européenne

Hélène Flautre / 2010-10-18

Verbatim colloque Lois antiterroristes 25 ans d'exception - Tarnac, un révélateur du nouvel ordre sécuritaire.
Lundi 18 Octobre 2010 à l'Assemblée Nationale 

1ere Table ronde : Contexte des lois antiterroristes

Je vais essayer d’éclairer avec vous en quoi l’espace européen, l’ordre juridique européen, peut ou pas être utile à ceux qui se battent pour l’Etat de Droit et les droits de l’homme. L’affaire des Roms montre un peu comment mutualiser au niveau national et au niveau européen des batailles qui permettent de mettre quelques obstacles sur les pentes très dangereuses et glissantes qui sont à l‘œuvre aujourd’hui dans les états membres de l’Union européenne.

Il y a plusieurs rapports sur les droits de l’homme dans l’Union européenne, ainsi qu’à l’échelle planétaire, qui montrent de façon très documentée et de manière incontestable, qu’au nom de la lutte contre le terrorisme, de nombreux états membres ont adopté un système juridique de lois liberticides, y compris jusqu’à une réduction des activités des associations de la société civile, des ONG. Et là, la boucle est alors bouclée parce qu’en général ce sont précisément ces ONG qui mettent à jour dans le débat publique les violations des droits de l’homme qui sont à l’œuvre dans le cadre de la lutte antiterroriste. Évidemment si on les empêche de parler au nom même de cette lutte antiterroriste, on a bouclé le cercle liberticide. Ces législations contrôlent donc les activités des ONG, il y a même un document assez honteux de la Commission européenne avec des recommandations au Conseil qui dit explicitement qu’il y a certaines associations qui ont des activités de couvertures d’activités terroristes, c’est un document tout à fait officiel. Donc limitation des activités des ONG, limitation de la liberté d’expression, et mise en place d’un système d’exception à la règle, au droit. Nombre de textes européens enchaînent, comme si de rien n’était, les questions de lutte contre l’immigration avec les questions de lutte contre le terrorisme, les questions contre le trafic d’êtres humains, toute une série de mesures dans un amalgame grossier et porteur en lui-même de violation des droits des personnes.

Il y avait, bien sur, des législations antiterroristes avant 2001, mais on peut dire que 2001 à New York, 2004 à Madrid, 2005 à Londres, ça a considérablement accéléré la mobilisation des pouvoirs exécutifs nationaux dans l’élaboration de droits, y compris au niveau européen. On a en 2002 l’élaboration d’une décision cadre sur la lutte contre le terrorisme pour laquelle déjà les parlementaires, à l’époque, s’étaient mobilisés pour limiter la définition des infractions terroristes. Par exemple, il était défini dans cette première décision cadre « la capture illicite d’installations étatique ou gouvernementale ou des moyens de transport publics », on voit immédiatement quel usage possible de l’infraction terroriste qui renverrait nos cheminots directement dans la loi d’exception de la lutte contre le terrorisme. Alors qu’est ce que l’on a obtenu ? On a obtenu que ce soit « la capture illicite par destruction massive d’installation étatique ou de moyens de transport public ».

Le deuxième point était « la mise en danger de personnes, de biens, d’animaux ou de l’environnement ». Il est clair que les activistes anti-OGM seraient tombés immédiatement sous cette inculpation et puis il y avait également la perturbation, l’interruption, de l’approvisionnement en eau, en électricité, ou tout autre forme de ressource fondamentale; là aussi les grèves dans le secteur auraient été directement touchées. Il a été alors précisé que cet acte devait avoir pour effet de mettre en danger des vies humaines. Il y a donc une bataille au niveau européen qui est grosso modo celle des états membres contre les parlementaires européens, avec la Commission qui a pour président M.Barroso, qui a été Premier ministre du Portugal entre 2002 et 2004, et entre 2002 et 2006 il y a 785 prisonniers de Guantanamo qui sont passés sur le territoire du Portugal. Nous n’avons donc pas un président qui a un attachement viscéral à l’état de droit, ce qui porte ombrage à l’activité de la Commission européenne dans ce domaine.

Il y a une bataille récente sur SWIFT. Avec le traité de Lisbonne les pouvoirs des parlementaires ont été renforcés à la fois en termes de co-décision dans toutes les législations, y compris antiterroristes, et dans la coopération judiciaire et policière ce que nous n’avions pas avant ; ainsi il y a eu la capacité pour les parlementaires européens de pouvoir refuser un accord international comme SWIFT pour le transfert de données bancaires. Le Parlement européen a été très content de montrer son nouveau pouvoir, il a bombé le torse en février de cette année et courbé l’échine quelques mois plus tard, après de nouvelles négociations de la Commission européenne avec l’administration américaine. Si elle a ramené quelques petites améliorations, les négociations ne changent pas le fond de l’affaire, car c’est sur demande des autorités américaines que sont transférées des données bancaires, nos données bancaires, en vrac sans contrôle d’une autorité judiciaire indépendante au niveau européen, avec une durée de rétention très importante, et qui peut être prolongée aux États-Unis, alors même qu’il n’y a pas d’accord sur la définition de l’acte terroriste entre les États-Unis et l’Europe, et que le droit de recours pour les non américains est limité aux États-Unis. Cela veut dire que si demain on transfère indûment vos données bancaires, si vous avez le bonheur un jour de le savoir, vous ne pourrez pas réclamer réparation ou faire recours sous les modalités garanties par les procédures européennes. Ces critiques n’ont pas été modifiées fondamentalement par la nouvelle négociation, néanmoins le Parlement européen a adopté la nouvelle version de l’accord SWIFT. On a tout entendu alors, dans le refus de l’accord en février, nous n’avons pas été traité de terroriste, mais on nous a accusé de laisser libre cours aux activités terroristes sur le territoire européen, alors que nous faisions notre travail de garants des droits de l’homme sur l’ensemble des législations européennes. La pression a été extrêmement importante, nous avons tous reçu des appels pressants d’adopter cet accord et je crois que in fine cette pression très forte subit par les parlementaires a fini par porter quelques fruits puisque l’accord a été accepté.

Les blacks listes, il y en a deux, mais parlons de celles qui sont la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, les groupes ou les personnes qui sont soupçonnés d’avoir des liens avec les talibans, Al Quaïda ou Oussama Ben Laden, les avoirs, les fonds, de ces personnes, peuvent êtres gelés et ces résolutions du Conseil de sécurité sont contraignantes pour l’ensemble des états membres des Nation Unies, donc les états européens. Dans le domaine européen c’est la Commission européenne qui met en oeuvre les dispositions visant à geler les fonds et les avoirs de toutes ses personnes blacks listés par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il s’est trouvé que des braves types ont vu leur carte disparaître en venant prendre de l’argent au guichet, et en râlant auprès de leur banque ont découvert qu’ils avaient été inscrits indûment sur ces listes. On peut donc être listé sans être au courant. Dans un premier temps, le Tribunal européen s’interdisait d’intervenir dans cette décision du Conseil de sécurité, arguant que la Commission européenne n’a pas cette compétence. Puis la cour de justice a fini par dire quelques années plus tard que la façon dont les états membres et la Commission européenne met en œuvre ces résolutions doit être absolument compatible avec le droit communautaire. Il y a eu des avancées sur ces blacks listes, si vous êtes dessus, vous êtes au courant, si vous avez été inscrit indûment vous pouvez exiger réparation, vous pouvez avoir accès aux informations qui ont conduit à votre inscription sur la liste, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ce sont des batailles qui se mènent pied à pied sur des points précis. Le Parlement européen a pu agir en collaboration avec l’assemblée parlementaire du Conseil de l’europe, il y a d’ailleurs un parlementaire, Dick Marty, qui a fait un gros travail et un peu propulsé le Parlement européen.

Troisième exemple, qui est toujours en cours, c’est celui des vols secrets de la CIA. Ce sont les ONG qui ont commencé à dire qu’il existe des transferts illégaux de personnes supposées terroristes qui transitent par l’espace européen en toute impunité, sans aucun contrôle, en toute illégalité. Bataille homérique pour obtenir du Parlement européen la mise en place d’une Commission temporaire qui a rendu un rapport, en février 2007, essayant de mettre au jour mais ne concluant pas à l’existence de centre de rétentions illégaux sur le sol européen, même s’il acquiesçait aux fortes présomptions de tels centres y compris sur le sol européen, le rapport documentait de manière assez claire que des personnes étaient envoyées dans des pays pour s’y faire torturer.

La torture est au centre des discussions y compris chez les parlementaires. Ce n’est pas toujours le Parlement le grand défenseur des droits de l’homme contre le Conseil. Il y a beaucoup de débats, j’ai fait venir Monsieur Novac qui est rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture pour discuter avec les parlementaires européens. La question est toujours la même : si on bande les yeux et que l’on fait croire a une personne qu’on va la noyer et que l’on ne va pas le faire, il n’y a pas d’eau, est-ce que c’est de la torture ? Oui c’est de la torture confirmait M Novac et les parlementaires insistaient : mais si ça évite la mort de personnes ?  M Novac argumentait alors sur l’interdiction absolue de toute forme de traitement inhumain et dégradant comme étant le fondement même de nos espaces démocratiques, de nos sociétés, de nos aspirations, du sens de notre vie ensemble.  Mais surtout, il précisait que c’était dans les films ces situations-là, que ce sont des situations totalement fantasmées qui n’ont rien à voir avec la réalité. Il n’est jamais arrivé qu’une personne torturée avoue à l’avance un crime qui aurait évité la mort. Le rapport concluait qu’il y avait bien eu des transferts effectués de manière illégale, que des personnes avaient été envoyées pour torture, que des pays utilisaient les témoignages obtenus sous la torture et qui étaient alors reconnus comme valides. Très récemment un rapport très documenté de Human Rights Watch vient de dénoncer à nouveau que l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, se livrent  encore aujourd’hui à ce type de pratiques. À l’occasion de la sortie de ce rapport nous avons repris la bataille au sein du Parlement pour demander des comptes, à la Commission et au Conseil, sur les conclusions de ce rapport de 2007. Nous demandons que les états membres fassent des enquêtes, mettent en place des dispositions qui empêchent à l’avenir de telles pratiques. Cela passe par un contrôle parlementaire des services de renseignements et par la réparation auprès des personnes dont les droits ont été largement violés.

Nous avons donc aujourd’hui un peu plus de possibilité pour les batailles sur les droits de l’homme à la fois dans l’espace européen, on a des moyens supplémentaires avec le traité de Lisbonne, avec la future adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme et avec le renforcement des instruments des pouvoirs parlementaires on a plus de capacités à mener ces combats. Mais la pression reste extrêmement forte. Et j’espère, qu’à la Commission des libertés civiles du Parlement européen et au Parlement européen lui-même, j’espère que nous serons capable de tenir cette position d’exigence, par rapport aux pratiques des états membres, comme élément et point d’appui supplémentaire pour les associations, les magistrats, les juristes, les avocats qui partout, en Europe et dans le monde essaient de maintenir active ces valeurs et cet ordre juridique, et les valeurs des droits de l’homme.

Page disponible à l'adresse suivante : http://fragmentsduvisible.org/p-article-124-afficher